CACEIS NEWS 37 FR

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N° 37 - Mars 2014 - caceis news 3

Interview de Lionel Martellini, Professeur de Finance et Directeur Scientifique de l’EDHEC-Risk Institute, qui commente la première étude menée dans le cadre de la nouvelle chaire de recherche créée en partenariat avec CACEIS

Pourquoi avez-vous choisi d’étudier l’allo- cation d’actifs à travers, non plus les classes d’actifs, mais les facteurs de risques? L’analyse de la diversification en termes de fac- teurs de risque devient un nouveau paradigme. Son émergence a été favorisée par la mise en évidence des limites de l’approche tradition- nelle, basée sur les avantages supposés d’une diversification entre classes d’actifs. En premier lieu, il convient de reconnaître qu’une décomposition en classes d’actifs est souvent arbitraire. Par exemple, les rendements des obligations convertibles sont exposés, non seulement aux risques de taux et de crédit, mais également, à travers l’option de conversion, aux risques action et volatilité. En conséquence, considé- rer ces titres comme appartenant à la classe obligataire représente un choix de classifica- tion discutable. Une autre limite provient de la corrélation des classes d’actifs.Ainsi, un investisseur pratiquant une diversification traditionnelle et allouant le même montant à différents actifs corrélés peut avoir l’illusion de gérer un portefeuille bien diversifié. Alors qu’en pratique, il pourrait pâtir d’une forte concentration sur un nombre limité de facteurs de risque. Par exemple, un investisseur détenant 25 % d’actions, 25 % d’obligations d’entreprise, 25 % de fonds spéculatifs et 25 % de private equity aurait très vraisemblablement une forte exposition à un facteur de risque dominant. Ce raisonnement s’applique aux investissements de cout terme et de long terme. Les avantages de la diversification des inves- tissements seraient illusoires? S’il est bien connu que la diversification consiste intuitivement à ne pas placer ses œufs dans un même panier, il faut reconnaître que cette for- mulation imagée reste quelque peu ambiguë. Comme rappelé ci-dessus, l’approche tradition- nelle consiste à dire que chaque panier est re- présenté par une classe d’actifs et que la bonne diversification consiste pour l’investisseur à éparpiller ses œufs (euros) dans un nombre le plus élevé possible de paniers (classes d’actifs). Cette vision pose au moins deux problèmes. D’une part, raisonner en termes de classes d’ac- tifs corrélées n’est pas satisfaisant. En effet, on voit mal quel serait l’intérêt de placer ses œufs dans différents paniers si ces paniers sont liés les uns aux autres, de telle sorte qu’ils pour- raient tomber tous ensemble. Par ailleurs, il semble important de tenir compte du risque associé à chacun de ces paniers: si l’on dispose de deux paniers, mais que le second est nettement plus fragile que le pre- mier, une allocation équitable des œufs aux deux paniers ne serait pas appropriée. Ainsi, le souci de diversification conduira naturellement à chercher à allouer différents actifs de façon à ce que chacun d’entre eux ait une contribution égale en termes de risques, plutôt qu’en termes

purement monétaires. Ce n’est en fait que dans un contexte fictif, avec des actifs décorrélés et de même risque, qu’une allocation equi-pondé- rée conduirait à une contribution égale de tous les actifs au risque du portefeuille. Existe-t-il des indicateurs permettant d’iden- tifier les corrélations entre classes d’actifs afin d’apporter une vision cohérente des risques? Il faut remarquer que compter le nombre de paniers (qu’ils soient représentés par des classes d’actifs corrélées ou des facteurs de risque décorrélés) est moins simple qu’il y paraît. En effet, si un investisseur alloue par exemple 99 % de sa richesse à une classe d’actifs ou facteur de risque, tandis que les 1 % restant sont alloués à 9 autres classes ou facteurs, il serait évidem- ment peu pertinent de dire que le nombre de constituants représentés dans le portefeuille de l’investisseur est égal à 10; le nombre effectif, dans une logique de mesure des risques, serait nettement plus faible, en l’occurrence à peine légèrement supérieur à 1. Afin de donner une mesure plus pertinente du nombre de constituants dans un portefeuille, il est possible d’introduire un indicateur, appelé "effective number of constituents" (ENC en anglais), formellement défini par l’entropie de la distribution des poids du portefeuille. Cette quantité tend vers 1 lorsque le portefeuille tend à être concentré en un seul actif, et prend une valeur égale au nombre nominal de constituants si le portefeuille est equi-pondéré. Ainsi, de la même manière que la duration est une mesure plus pertinente de la maturité effec- tive d’une obligation que ne l’est la maturité fa- ciale, le nombre effectif de constituants est une mesure plus pertinente du nombre de paniers que ne l’est le nombre nominal. Le nombre effectif de paris, « effective number of bets » en anglais (ENB), est défini comme l’entropie de la distribution des contributions d’un ensemble de facteurs de risque non corrélés représentant la totalité du risque du portefeuille. Ainsi, un portefeuille investi de manière equi- pondérée dans des actifs très corrélés (par exemple des obligations d’un même émet- teur souverain) aura un ENC élevé, mais un ENB faible (bonne diversification en termes d’allocation aux constituants du portefeuille mais forte concentration en termes d’exposi- tion aux facteurs de risques). L’ENB permet une analyse des risques plus approfondie que l’ENC. Vous avez étudié les performances sur 55 ans de 14 grands indices actions internationaux (Etats-Unis, Europe, Asie). Quelle est la qua- lité de leur diversification? La construction d’un indice boursier sur la base d’un schéma de pondération proportionnel à la capitalisation boursière des titres pose problème car ce schéma de pondération a tendance à créer des portefeuilles hautement concentrés dans un nombre relativement peu élevé de titres, ceux ayant précisément la plus forte capitalisation.

En effet, au sein d’un univers comme le CAC 40, le FTSE 100 ou S&P 500, il existe de très grandes différences de taille de capitalisation. L’existence de ces écarts très prononcés im- plique que les titres les plus petits de chaque univers ne reçoivent qu’une allocation très faible dans l’indice. Cette concentration conduit à un coût d’opportunité élevé en termes de diversification ; en effet par définition des portefeuilles mal diversifiés contiennent un excès de risque non rémunéré, et à ce titre ne représentent pas des benchmarks efficients pour des investisseurs cherchant le meilleur rapport rendement risque. Vous consacrez une autre partie de votre étude à l’analyse des 10 plus grands por- tefeuilles de fonds de pension mondiaux et aux 1000 plus grands portefeuilles de fonds de pension américains, quelle en est la principale conclusion ? La principale conclusion obtenue de notre étude de la diversification des fonds de pen- sions américains est qu’il existe une relation positive entre le nombre effectif de paris et la performance dans des marchés baissiers. Ainsi, les fonds les mieux diversifiés, au sens d’un nombre effectif de paris plus élevé, ont eu tendance à mieux résister à des situations de marché extrêmes, comme celle de l’au- tomne 2008. Cette relation, qui est statistiquement signi- ficative, n’est cependant pas linéaire. Ainsi les fonds de pension, ayant la toute meilleure performance en 2008 sont, comme on pou- vait s’y attendre, ceux ayant adopté un por- tefeuille extrêmement concentré, exclusive- ment investis en actifs sans risques. Par ailleurs, cette relation est nettement moins forte quand la diversification est mesu- rée par le nombre effectif de constituants, ce qui confirme l’idée que raisonner en termes de facteurs de risque indépendants permet de mieux appréhender le niveau de diversifica- tion d’un portefeuille. Selon vous, comment cette étude pourrait contribuer à une évolution des compo- santes des reporting de mesure, d’attribu- tion de performance et de risques ? L’étude montre la possibilité d’introduire de nouveaux indicateurs permettant d’amélio- rer l’analyse des risques ex ante des porte- feuilles. Dans ce contexte, il apparaît que des indi- cateurs, comme le nombre effectif de paris indépendants dans un portefeuille donné, permettent à un gérant d’actifs de mieux ap- précier le degré de diversification du porte- feuille et donc son potentiel de performance dans diverses conditions de marché. La mise en place de ces indicateurs pourrait être utile à la fois dans un contexte d’alloca- tion inter-classe et dans un contexte de por- tefeuille intra-classe, comme un portefeuille action par exemple ■

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